Kisenosato, le "yokozuna" qui rendit aux Japonais leur fierté du sumo - Asialyst (2024)

Culture

L'Asie sur Radio France Internationale

  • Radio France Internationale

Ce n’était plus arrivé depuis 1998. Mercredi 25 janvier 2017, un lutteur né au Japon a été élevé au rang de yokozuna, le statut le plus élevé dans le monde du sumo. Notre partenaire RFI revient sur le parcours de celui qui vient d’entrer dans la légende. Kisenosato Yutaka, 30 ans, rejoint trois lutteurs d’origine mongole encore en activité, mais il jouit désormais d’un statut à part dans son pays. Pour bon nombre de ses compatriotes, il vient en effet de rendre son «âme» à l’archipel nippon.

Ils sont quatre encore en activité, mais un seul d’entre eux est né au Japon. Kisenosato Yutaka a rejoint mercredi trois lutteurs venus de Mongolie au firmament de la galaxie du sumo : Hakuhô Shô, Harumafuji Kôhei et Kakuryû Rikisaburô. Ces quatre rikishi (lutteurs de sumo) ont le rang suprême de yokozuna, et personne ne pourra jamais le leur enlever jusqu’à leur retraite, qui pourrait néanmoins survenir s’ils ne se montraient plus «dignes» du dohyō, le ring. Par exemple, s’ils ne gagnaient plus.

Atteindre le rang de yokozuna, supérieur au rang d’ôzeki, est un honneur absolu au Japon. Il confère quasiment un statut de demi-dieu dans le pays, mais induit aussi de se montrer à la hauteur. «On attend souvent des yokozuna un comportement irréprochable véhiculant toutes les valeurs du sumo souvent proche de l’esprit des samouraïs», peut-on lire en préambule de la liste des yokozuna sur le site francophone Dosukoi.fr, dédié au sumo. «Yokozuna est un rang qui s’accompagne de responsabilités. La défaite sonne la fin», considère le nouveau venu, Kisenosato.

Dix-neuf ans que le Japon l’attendait

Le rikishi japonais Kisenosato a attendu ses 30 ans et un nombre de tournois sans précédent depuis 1926 pour devenir le 72e «champion suprême» de sa discipline légendaire. Lundi, un jour après sa victoire dans l’un des grands tournois – celui du Nouvel an -, le président de la fédération de sumo, Nobuyuki Hakkaku, a été invité à demander au conseil de délibération des yokozuna si Kisenosato méritait ce rang. Unanime, ce dernier a répondu «oui» deux jours plus tard, compte tenu du parcours remarquable du Japonais qui l’a conduit à sa première Coupe de l’empereur.

Cela faisait presque deux décennies qu’un Nippon n’était plus devenu yokozuna. Une délivrance, tant cette pratique liée au culte shinto, la religion première au Japon, renvoie à la mythologie et à l’histoire du pays, pour ne pas dire à son «âme». Le sumo est mentionné dans le plus vieux livre écrit de l’archipel, le Kojiki, qui faisait état en 712 après J.-C. d’une victoire – légendaire – du dieu Takemikazuchi contre son rival Takeminakata. Combat de sumo qui aurait débouché sur le contrôle des îles nippones et le règne de l’actuelle famille impériale.

De manière un peu plus prosaïque, dans le Nihon Shoki de 720, il est question d’un combat entre deux hommes sous le règne de l’empereur Suinin (-29 à -70), à savoir les lutteurs Nomi-no-Sukune et Taima-no-Kuehaya. Cet affrontement marquerait l’origine du sumo. Ensuite, «dès le VIIIe siècle, sont introduits les tournois annuels de sumo dans les cérémonies de la cour impériale, accompagnés de musique et de danses», relate le site du musée des Confluences de Lyon, à l’occasion d’une exposition des clichés japonais acquis par l’anthropologue Ernest Chantre (1843-1924).

Le règne des yokozuna venus de loin

Akashi Shiganosuke (1600-1649) est considéré comme le premier yokozuna de l’histoire. Mais ce rang se serait peu à peu institutionnalisé après 1789. «Le terme de yokozuna signifie «celui qui porte la corde» qui n’est pas sans rappeler celle qui est suspendue à l’entrée des temples shinto. Elle est faite à base de chanvre par les lutteurs de la heya du yokozuna. Plus récemment, depuis 1937, une tsuna rouge spécialement conçue pour la cérémonie de kanreki dohyo-iri célèbre les 60 ans d’un ancien yokozuna», relate Dusukoi.fr.

Avant Kisenosato, les derniers rikishi nés au Japon à avoir atteint un tel niveau étaient les frères Takanohana Kôji et Wakanohana Masaru, respectivement 65e et 66e yokozuna dans les années 1990. Avant eux, un seul lutteur né à l’étranger avait été jugé assez «digne» pour briser le plafond de verre malgré ses origines. A savoir leur grand rival, l’Américain Akebono Tarō, originaire d’Hawaï et naturalisé japonais. Après eux, en revanche, la qualité de hinkaku, inhérente au statut de yokozuna, ne sera paradoxalement plus reconnue qu’à des lutteurs venus d’ailleurs.

Ce fut d’abord un autre Hawaïen, Musashimaru Kôyô, en 1999. Puis le Mongol Asashôryû Akinori, en 2003. Avant que ses trois compatriotes toujours en activité actuellement n’occupent le devant de la scène au détriment des Japonais, aidés par d’autres étrangers venus de partout, le tout conduisant à un désintérêt relatif mais croissant et à des critiques dans la population. «Le désamour a été exacerbé par plusieurs scandales en 2010 et 2011 de rencontres truquées et de paris impliquant plusieurs lutteurs, le tout sur fond de liens avec la pègre», rappelle le correspondant du quotidien Le Monde à Tokyo, Philippe Mesmer.

Etre yokosuna, «c’est être seul»

Plaidant pour la réorganisation du sumo en une «confrérie religieuse», le titre régional Shinano Mainichi Shimbun avait écrit un article à cette époque. Il expliquait que «des lutteurs classés juryo [de la deuxième division], payés 1 million de yens par mois», avaient mis en place «une sorte de «système d’entraide par le trucage», de manière à ne pas descendre en division inférieure (qui ne donne pas droit à rémunération). Les lutteurs se mettaient d’accord par SMS sur les transactions, un vétéran du sumo jouait le rôle d’entremetteur».

Le Japon a enfin retrouvé un yokozuna bien de chez lui et qui semble digne de son rang. L’engouement populaire regagne actuellement la pratique du sumo. Cet engouement était d’ailleurs revenu dès l’an passé, lorsqu’un autre Japonais, Kotoshōgiku Kazuhiro, avait raflé le grand tournoi du Nouvel an en janvier 2016, une première pour un Nippon depuis dix ans. Puis ce fut l’épopée Kisenosato, jusqu’à la Coupe de l’empereur raflée cette semaine puis le rang de yokozuna. L’occasion pour l’intéressé de rendre hommage à son défunt maître, l’ancien yokozuna Takanosato.

«La gratitude est le seul mot qui me vienne à l’esprit. Mais je ne récompenserai jamais assez (Takanosato, NDLR) si je ne m’entraîne pas encore plus et que je ne deviens pas plus fort. Il avait toujours l’habitude de dire qu’être yokosuna, «c’est être seul». Je ne pouvais pas le comprendre à l’époque, mais je vais tâcher de comprendre le sens de cette formule, explique Kisenosato. Je vais me dévouer à ne pas déshonorer le rang de yokozuna.»

Savoir se montrer «digne» de son rang

Le nouveau «héros» japonais du sumo devra désormais combattre en dernier dans les tournois. Il échappera au cérémonial des autres et effectuera une danse spécifique, avec à la taille la corde blanche symbolisant son statut. Selon Kisenosato, s’il était encore en vie, son maître lui dirait que «c’est ici que le vrai combat commence». «Je pense la même chose. Je me sens toujours bien physiquement et mentalement, et je pense pouvoir devenir beaucoup plus fort. (…) Mon comportement au ring d’entraînement et la manière dont je me tiens vont être scrutés», assure l’intéressé.

Contre-exemple à ne surtout pas suivre : le fameux prodige Asashôryû, qui avait ouvert la voie aux Mongols, parvenant au rang de yokozuna très jeune, à grande vitesse, avant d’être finalement contraint d’annoncer sa retraite en 2010 après une ultime frasque, l’agression d’un homme en état d’ivresse. Le sumo est une «tradition qui s’appuie sur des rites et des valeurs spirituelles. Sans cela, la discipline perdrait toute sa raison d’être. Voilà pourquoi la force n’est pas la seule qualité exigée d’un lutteur», jugeait à l’époque le journal Asahi Shimbun.

Message reçu par le 72e «grand champion». «Je veux devenir un modèle pour les jeunes lutteurs, explique Kisenosato. Le sumo dépend beaucoup de talents étrangers, qui représentent 40 % des lutteurs du makuuchi, la division la plus élevée», écrivait l’Asahi Shimbun en 2010. Aussi, «l’avènement de Kisenosato est reçu comme un soulagement au Japon. Le sumo redevient japonais. Sa domination par des étrangers suscitait une sorte de néo-nationalisme culturel. Le sumo reste un bastion culturel nippon», décrypte notre correspondant à Tokyo, Frédéric Charles, fin connaisseur de cette société à nulle autre pareille.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don

Tags de l'article
  • Asie du Nord-Est
  • Japon
  • Kisenosato Yutaka
  • Regards
  • RFI
  • sport
  • Sumo
  • yokozuna

    Share on FacebookShare on TwitterShare on LinkedinShare on Pinterest

    A propos de l'auteur

    Kisenosato, le "yokozuna" qui rendit aux Japonais leur fierté du sumo - Asialyst (5)

    Radio France Internationale

    Radio française d’actualité, Radio France Internationale est diffusée mondialement en français et en 12 langues étrangères, en FM via 156 relais répartis dans 62 pays, en ondes moyennes, en ondes courtes, sur une trentaine de satellites couvrant les cinq continents, sur Internet et applications connectées, et compte 700 radios partenaires qui reprennent ses programmes dans plus de 1250 villes.Grâce à l’expertise de ses rédactions basées à Paris et de son réseau unique de 400 correspondants, RFI propose à ses auditeurs des rendez-vous d’information et des magazines offrant les clés de compréhension du monde et notamment sur l’Asie.La radio mondiale réunit chaque semaine 34,5 millions d’auditeurs et son offre nouveaux médias enregistre 8 millions de visites chaque mois.

    On vous recommande
    • EnvironnementJapon : 25 ans après l’éruption meurtrière, retour au pied du mont Unzen
    • SociétéLe Japon peut-il mettre un terme au "karoshi", la mort par surmenage ?
    Kisenosato, le "yokozuna" qui rendit aux Japonais leur fierté du sumo - Asialyst (2024)
    Top Articles
    Remnant 2 Review - IGN
    Remnant 2 im Test: Die Souls-Shooter-Wundertüte lohnt sich - besonders im Koop
    Black Adam Showtimes Near Maya Cinemas Delano
    Q102 Weather Desk
    Arcanis Secret Santa
    Clothes Mentor Overland Park Photos
    Charli D'Amelio: Wie die junge Amerikannerin TikTok-Sensation wurde
    Premier Double Up For A Buck
    Uptown Cheapskate Fort Lauderdale
    19 Dollar Fortnite Card Copypasta
    Metro By T Mobile Sign In
    Craigslist Tuscarawas Pets
    Is Holly Warlick Married To Susan Patton
    New & Used Motorcycles for Sale | NL Classifieds
    Grizzly Expiration Date 2023
    Comcast Business Sign In
    Reforge Update – Which Reforges Are The Best? – Hypixel Skyblock - Sirknightj
    Bowser's Fury Coloring Page
    Sufficient Velocity Quests
    Magicseaweed Capitola
    Https //Myapps.microsoft.com Portal
    Wisconsin Volleyball Team Full Leaks
    What tools do you recommend for emceeing?
    Gulfport Senior Center Calendar
    Paige Van Zant Of Leak
    Are your stomach problems caused by stress? What is ‘leaky gut’, and expert tips to avoid it
    Importing Songs into Clone Hero: A Comprehensive Tutorial
    They Cloned Tyrone Showtimes Near Showbiz Cinemas - Kingwood
    Mcdonald Hours Near Me
    Marshfieldnewsherald Obituary
    Western Lake Erie - Lake Erie and Lake Ontario
    Top Chef Airer Nyt Crossword Clue
    Ludwig Nutsac
    Gargoyle Name Generator
    Flight 1173 Frontier
    Smarthistory – Leonardo da Vinci, “Vitruvian Man”
    Robin Herd: 1939-2019
    Victor Predictions Today
    Puppies For Sale in Netherlands (98) | Petzlover
    Rg353M Vs Rg351Mp
    Trizzle Aarp
    Tamusso
    Aces Fmc Charting
    Betty Rea Ice Cream
    Parx Entries For Today
    Fitbod Lifetime
    Winding Road Ahead for China’s EV Growth
    50 Shades Of Grey Movie 123Movies
    Houses For Sale 180 000
    University Of Oregon Id
    Nfl Spotrac Transactions
    9372034886
    Latest Posts
    Article information

    Author: Stevie Stamm

    Last Updated:

    Views: 6476

    Rating: 5 / 5 (80 voted)

    Reviews: 87% of readers found this page helpful

    Author information

    Name: Stevie Stamm

    Birthday: 1996-06-22

    Address: Apt. 419 4200 Sipes Estate, East Delmerview, WY 05617

    Phone: +342332224300

    Job: Future Advertising Analyst

    Hobby: Leather crafting, Puzzles, Leather crafting, scrapbook, Urban exploration, Cabaret, Skateboarding

    Introduction: My name is Stevie Stamm, I am a colorful, sparkling, splendid, vast, open, hilarious, tender person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.